INTRODUCTION
Chargée de superviser le retrait des positions conquises par les rebelles du M23 depuis fin 2021 au nord et à l’ouest de Goma, capitale provinciale du Nord-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo, la Force de l’EAC (Communauté des Etats d’Afrique de l’Est) n’est pas bien vue par les populations congolaises qui soupçonnent certains de ses contingents d’être de connivence avec cette rébellion soutenue par le Rwanda, un pays membre de ladite communauté.
Le mandat de la force est-africaine a, dans un premier temps, été perçu localement comme « offensif », mais les pays contributeurs ont ensuite souligné qu’elle était une force « neutre », qui ne venait pas pour combattre les rebelles mais pour superviser leur retrait des territoires conquis.
Comme la force de la Mission des Nations unies en République démocratique du Congo (Monusco), présente dans le pays depuis 1999, celle de l’EAC est à son tour boudée par une majorité des congolais et même critiquée par les plus hautes autorités du pays notamment le président Félix Tshisekedi qui l’accuse de passivité face à la rébellion du M23. Dans un contexte de méfiance réciproque, le commandant de la force, le général kényan Jeff Nyagah a démissionné de ses fonctions en évoquant des « menaces » à sa sécurité et une campagne de dénigrement contre sa mission. Contrairement à la population qui demande le départ de cette force est-africaine, le gouvernement de Kinshasa reste dubitatif sur le maintient ou non des hommes de l’EAC sur le territoire congolais.
CONTEXTE
Le M23 pour «Mouvement du 23 mars », également appelée « Armée révolutionnaire congolaise », est le dernier avatar de rébellions à dominante tutsi ayant pris les armes contre la RDC. Ce mouvement est né en mai 2012 d’une mutinerie d’anciens rebelles du Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP) intégrés au sein de l’armée congolaise. Les mutins accusaient alors Kinshasa de ne pas respecter les clauses de l’accord signé le 23 mars 2009 (d’où le nom de leur « mouvement du 23 mars ») qui avait permis leur intégration militaire.
En novembre-décembre 2012, le M23 avait occupé Goma, capitale de la province du Nord-Kivu pendant une dizaine de jours avant d’être vaincu l’année suivante par les forces armées congolaises épaulées par les Casques bleus de l’ONU, après 18 mois de guérilla.
Après sa défaite militaire, le M23 a poursuivi des négociations avec Kinshasa, tandis que plusieurs centaines de ses combattants avaient trouvé refuge en Ouganda, où ils ont été cantonnés, et au Rwanda, deux pays voisins de la RDC et membres de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est.
Fin 2013, à Nairobi au Kenya, le M23 et les autorités de Kinshasa ont signé des engagements, notamment pour ouvrir la voie au rapatriement de la plupart des combattants de l’ex-rébellion en vue de leur réinsertion dans la vie civile. Cette opération n’a jamais connu d’avancée significative.
Début 2017, le gouvernement congolais et de nombreux témoignages d’habitants faisaient état de la présence d’ex-combattants M23 dans le territoire de Rutshuru, dans le Nord-Kivu.
La situation s’était calmée mais en novembre 2021, les M23 ont lancé des nouvelles offensives contre les Forces armées de la RDC (FARDC) dans ce territoire de Rutshuru, à la lisière avec le parc national des Virunga. Au fils des mois, Ce mouvement rebelle, soutenu par Kigali selon les experts de l’ONU, a élargi le territoire sous son contrôle, s’emparant de vastes portions de territoire dans cette province frontalière du Rwanda et de l’Ouganda, jusqu’à se rapprocher de Goma, ville de plus d’un million d’habitants et capitale provinciale.
Le mouvement rebelle reproche aux autorités de la RDC de n’avoir pas respecté les engagements signés à Nairobi sur la démobilisation de ses combattants. Depuis la sortie du bois de ces M23, des initiatives diplomatiques se multiplient – dont celle menée par la communauté des Etats d’Afrique de l’Est – pour faire taire les armes et apaiser les tensions, sans vraiment changer le rapport de force sur terrain.
Sans le dire très clairement, le M23 veut des négociations directes avec le gouvernement de la RDC. Le Mouvement rebelle voudrait probablement obtenir l’intégration de ses combattants au sein des forces armées congolaises. Et cette option semble de plus en plus être privilégiée par les autres acteurs de la région y compris des acteurs mandatés de mener la médiation ou le rapprochement entre la Kinshasa et le mouvement rebelle tel que le président João Lourenço de l’Angola ou encore l’ancien président kenyan Uhuru Kenyatta, les médiateurs désignés.
MANDAT DE LA FORCE REGIONALE
La création de la force régionale de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est (EAC) dont le principe avait été adopté par les chefs d’État de la région en avril 2022 avait au départ pour mission de traquer les groupes armés dans l’est de la RDC et d’imposer ainsi la paix dans cette partie où les rebelles du M23 étaient déjà en offensive depuis fin 2021. La force de l’EAC avait alors un mandat provisoire de six mois, ayant expiré le 31 mars dernier.
A l’annonce de l’arrivée de cette Force est-africaine dont le déploiement a commencé en novembre dernier avec l’arrivée des soldats de l’armée kenyane à Goma, les populations congolaises et principalement celles des zones tombées sous contrôle du M23, avaient compris que les soldats de cette force venaient combattre les rebelles du M23. Quelques jours après l’arrivée des premières unités de ladite force régionale, les populations locales se sont vite montrées très critiques à son égard, lui reprochant de cohabiter avec les rebelles plutôt que de les contraindre à se retirer. D’autres disaient ne pas comprendre que les militaires de cette force ne fassent usage de la force contre les rebelles.
En effet, un mini-sommet ayant réuni le 23 novembre à Luanda en Angola avait confié à la force régionale est-africaine la mission de « faire usage de la force » contre les rebelles du M23 s’ils refusaient de se retirer des zones occupées, ce qu’elle n’a pas jamais fait.
La force est-africaine qui comprend des soldats kényans, burundais, ougandais et sud-soudanais, est donc déployée, en plus de celle des Nations unies (Monusco) – présente en RDC depuis bientôt 25 ans – et accusée d’inaction par les populations de l’est, victimes des violences de groupes armés depuis les années 1990.
Au début de l’année, les activistes de la société civile et des militants des mouvements citoyens ont alors organisé des manifestations, dont certaines violentes, contre des militaires de la force de l’EAC qui étaient accusées eux aussi d’inaction face aux rebelles du M23.
RELATION TENDUE ENTRE KINSHASA ET KIGALI
Après l’expiration de son mandat le 31 mars, Kinshasa a sollicité, début avril, la tenue d’une réunion de clarification et d’évaluation de ce mandat. Une réunion des ministres de Défense de l’EAC avait alors été prévue pour le mercredi 19 avril avant d’être reportée à une date ultérieure. Selon l’Agence congolaise de presse (ACP), ce report est dû à un saut d’humeur de Kigali. « Estimant que leur sécurité n’est pas garantie à Goma, la partie rwandaise n’a pas envoyé ses émissaires et a sollicité une délocalisation de cette rencontre », a indiqué l’ACP citant le secrétariat de l’EAC. La République démocratique du Congo n’a pas encore répondu à cette demande du Rwanda.
La force régionale, dont le déploiement a commencé en novembre 2022, en parallèle aux initiatives de paix, comprend des soldats kényans, burundais, ougandais et sud-soudanais. A la demande de Kinshasa, cette force ne comprend pas de troupes rwandaises, mais quelques officiers rwandais étaient toutefois présents à son quartier général de Goma au début du déploiement. Fin janvier, Kinshasa a fait savoir que les officiers rwandais avaient été « enjoints de quitter le sol congolais pour des raisons sécuritaires ».
Dans une lettre au ministre congolais des Affaires étrangères, le secrétariat général de l’EAC avait alors demandé « une clarification urgente » sur cette décision. Depuis, rien n’a été clarifié.
DEPLOIEMENT SUR TERRAIN
Déployée graduellement depuis novembre 2022 en réponse à une avancée des rebelles du M23 dans l’est instable de la RDC, en proie aux groupes armés depuis près de 30 ans, la force régionale est-africaine est composée de soldats kényans, ougandais, burundais et sud-soudanais. Son maintien sur le territoire congolais ne fait pas l’unanimité parmi les populations qui la soupçonne de coaliser avec les rebelles du M23. Comme la force de l’ONU présente depuis près de 25 ans dans le pays et accusée d’inefficacité face aux groupes armés, les soldats de la force notamment kényans présents depuis novembre à Goma font face à une fronde populaire.
Le 23 décembre 2022, la première annonce de retrait des rebelles du M23 de la cité occupée de Kibumba, sous la supervision de la force de l’EAC a été faite. Depuis, la rébellion s’est officiellement retirée de plusieurs autres de ses positions qui ont été remises à la force est-africaine. Mais ces retraits ont généralement été qualifiés de « leurres » ou de « diversion » par l’armée congolaise. A Kibumba par exemple, le M23 a quitté le centre de la localité mais est resté sur les collines à proximité immédiate du village, sans se replier vers ses positions initiales comme prévu par une feuille de route de désescalade du conflit.
La force de l’EAC a été créée en parallèle aux démarches diplomatiques engagées par l’organisation régionale pour tenter de ramener la paix dans l’Est congolais. Bien qu’étant quasi au complet depuis plusieurs semaines, l’effectif total de la force de l’EAC n’a pas été rendu public. Mais au fur et à mesure de leur arrivée dans la région, ses éléments prennent leurs quartiers dans les zones rebelles. Sans combats, en tant que force « neutre », telle que l’avait décrit le président ougandais Yoweri Museveni.
Ainsi depuis novembre, la force de l’EAC s’est déployée à Kibati, Kibumba, Rugari, Rumangabo, puis Mushaki, Sake, Kilolirwe, Kitshanga… Les Ougandais sont depuis mi-avril à Bunagana, carrefour commercial à la frontière entre la RDC et le Rwanda.
REJET ET ATTAQUES
Selon un sondage et la note thématique d’Ebuteli, Institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence, et du Groupe d’étude sur le Congo (GEC) publiés en février 2023, une majorité des Congolais rejette la force régionale. Selon les conclusions de cette étude, « 69% des Congolais ne pensent pas que la force de l’EAC conduira à l’éradication totale des groupes armés » dans l’est de la RDC, une région est en proie à des violences depuis trois décennies en raison de la présence des dizaines des groupes armés locaux et étrangers.
Dès les premières semaines qui ont suivi son déploiement, la force de l’EAC a été soupçonnée d’être complice de la rébellion M23 dont les chefs vivent depuis une décennie dans certains pays contributeurs des troupes, notamment l’Ouganda.
Dans ce contexte, 68% de personnes interrogées dans le cadre de l’enquête d’Ebuteli ne soutiennent « pas » ou « pas du tout » « la mutualisation des forces entre la RDC et le Kenya » dans la lutte contre les M23.
L’opposition à la plupart des autres contingents qui composent aujourd’hui cette force était plus élevée encore : ce chiffre est de 72 % pour le Burundi, 73 % pour l’Ouganda et même de 78 % pour le Rwanda, qui a été exclu de cette force. Seule l’armée du Soudan du Sud rencontre un rejet moindre, même s’il reste majoritaire : 64 % des sondés y sont opposés, selon cette enquête.
Rejetés par des populations civiles, les soldats de la force de l’EAC ont également été la cible d’attaques des groupes armés dans une zone où ils cohabitent avec les rebelles M23.
Le 15 avril, en effet, des soldats burundais ont riposté aux tirs d’un groupe armé qu’ils sont parvenus à repousser, avait indiqué le commandement de cette force régionale. Ces soldats burundais ont essuyés des tirs dans les environs de la colline dite Jérusalem, à une trentaine de km de Goma. De premières informations avaient fait état d’affrontements avec des rebelles du M23, avant qu’un porte-parole n’indique qu’il s’agissait plutôt des membres d’un des nombreux groupes armés actifs dans la région et se présentant comme des « patriotes » opposés à la rébellion du M23 et à son «parrain» rwandais.
Quelques jours plus tôt, ce sont les troupes kényanes de la force régionale qui avaient riposté à des tirs dans le secteur de Kibumba, au nord de Goma. Cette force n’a pas mandat de combattre, mais ses hommes « tirent quand on leur tire dessus », a expliqué une source au sein de cette force.
Les rebelles du M23 se sont retirés de certaines localités des territoires de Rutshuru et Masisi. Depuis mi-avril, ils ont ainsi quitté Bambo, Mweso, ou encore le village de Kishishe, où ils sont accusés d’avoir massacré fin novembre plus de 170 civils, selon l’ONU. Le mouvement rebelle s’était emparé de tous ces endroits l’année dernière, étranglant peu à peu Goma, qu’il avait déjà brièvement occupée dix ans auparavant, avant d’être défait en 2013.
Si le M23 s’est retiré de certains villages, il reste toutefois présent dans d’autres, y compris là où les soldats de la force de l’EAC sont déployés. Comme les Casques bleu de l’ONU, incapable de ramener la paix, cette nouvelle force se retrouve accusée de passivité, voire de complicité avec les rebelles.
Il faut dire que d’une manière générale, les Congolais se méfient des Rwandais mais aussi des Ougandais. Ils se souviennent toujours du rôle joué par ces deux pays dans la déstabilisation de l’est de la RDC depuis près de trois décennies.
Dans ce contexte, deux questions orales ont aussi été adressées par des députés, l’une au ministre des Affaires étrangères, l’autre à celui de la Défense, sur la nature de cette force régionale, en particulier la présence dans ses rangs de soldats ougandais. En juin dernier, en effet, Kampala avait été fortement soupçonné d’avoir, au mieux, fermé les yeux quand les rebelles du M23 s’étaient emparés de Bunagana.
Certains Congolais y voient l’habituelle menace de « balkanisation » de l’est du pays, en proie aux violences de groupes armés hérités pour beaucoup de guerres qui ont ensanglanté la région dans les années 1990-2000. « Qui peut encore croire aux efforts de stabilisation de l’est avec le concours de la Force #EAC composée en grande partie d’États déstabilisateurs ? », avait par exemple protesté sur Twitter le gynécologue congolais Denis Mukwege et prix Nobel de la paix 2018.
Dans une lettre au secrétaire général de l’EAC datée du 27 avril, le commandant de la force régionale a présenté sa démission. Le général kenyan Jeff Nyagah a ainsi expliqué (dans cette lettre) qu’il renonçait à sa mission notamment « en raison d’une menace aggravée pour (sa) sécurité ».
« Il y a eu une tentative d’intimidation (…) dans mon ancienne résidence en déployant des sous-traitants militaires étrangers (mercenaires) qui ont placé des dispositifs de surveillance, fait voler des drones et mené une surveillance physique à ma résidence début janvier 2023, me forçant à déménager », a-t-il détaillé.
Le général Nyagah a aussi dénoncé une « campagne médiatique négative bien orchestrée et financée » contre lui et « de fausses accusations écrites sur la complaisance de l’EACRF » face aux rebelles du M23.
CONCLUSION
Déployée pour un mandat provisoire de six mois, ayant expiré le 31 mars dernier, la Force régionale de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est ne fait pas l’unanimité sur le terrain des opérations où la population la soupçonne de coaliser avec les rebelles du M23 dont ils sont supposés superviser le retrait des zones tombées sous son contrôle. Déployée graduellement depuis novembre en réponse à une avancée des rebelles du M23 dans l’est instable de la RDC, en proie aux groupes armés depuis trois décennies, cette force est composée de soldats kényans, ougandais, burundais et sud-soudanais.
Le mandat de cette force régionale a été perçu localement, dans un premier temps, comme « offensif », mais les pays contributeurs ont ensuite souligné qu’elle était une force « neutre » qui ne venait pas pour combattre les rebelles. Une position que ne veut écouter les populations congolaises.
C’est de la responsabilité du gouvernement de la République démocratique du Congo de décider du maintien ou non de cette force sur son sol, en tenant compte des résultants obtenus et de l’adhésion des populations locales à cette initiative régionale. Si les populations y compris des élus de la majorité et de l’opposition sont pour un départ de cette de la force de EAC dans l’est congolais au profit d’un déploiement de la force de la Communauté des états d’Afrique Australe (SADC), la position des autorités de Kinshasa semble encore dubitative.